“Ne désespérez pas de la France !“ Pierre Mendès-France (1941)
Les voies de la République sont impénétrables… Quel bonheur ce couronnement du film sublime Des Hommes et des Dieux lors de la cérémonie des César et ce cri citoyen du réalisateur Xavier Beauvois qui résumait son œuvre sur l’itinéraire lumineux des moines de Tibhirine en trois mots : Liberté, Égalité, Fraternité ! Nous ne pouvions rêver plus beau témoignage face au vent mauvais qui souffle sur la France et installe Marine Le Pen au centre de la vie politique nationale !
En succédant à son père, la nouvelle présidente du Front national a tout fait pour que l’on oublie le visage hideux de sa famille politique. Les déclarations ne sont pas seulement plus lissées, elles vont jusqu’à se réclamer de la République, de la laïcité, de la Résistance, de Jaurès… Mais, sous le masque souriant, le discours grimaçant de haine est toujours là, comme l’avait montré la honteuse comparaison entre les prières de musulmans dans les rues et l’Occupation nazie. Seule véritable évolution par rapport à l’extrême droite des années 30 et au discours du père, le “métèque“ maintenant privilégié comme bouc émissaire de la crise et de la souffrance des Français, est le musulman. Si la cible, comme le style et les mots, ont changé, le fond raciste est toujours là. Profitant des provocations d’intégristes musulmans et se drapant sans vergogne dans la laïcité qu’elle a toujours vomie, l’extrême droite continue de souffler sa haine xénophobe. Mais cette haine-là ne semble pas trop gêner Alain Minc, qui vient de décerner au Front national “nouveau“ un brevet de respectabilité gouvernementale, prédisant sa mutation en une sorte de CSU, l’aile bavaroise de la CDU allemande ! (*) Alain Minc apportant sa contribution à la dédiabolisation du Front national et légitimant une future alliance gouvernementale avec lui ! Au-delà du dégoût qu’elle nous inspire, cette prise de position scandaleuse illustre bien l’égarement des classes dirigeantes et la gravité de la situation dans laquelle se trouve le pays.
Avant le “ripolinage“ du congrès de succession, les thèmes frontistes avaient déjà fait tâche d’huile bien au-delà du champ traditionnel du Front national, fissurant dangereusement les digues de la République.
Flirtant avec ces thèmes, la “droite populaire“, créée par des parlementaires de la majorité, est une triste illustration de cette contamination, qui ébranle chez certains politiques le tabou des alliances et touche un nombre grandissant de sympathisants et d’électeurs de l’UMP. Après les faux-semblants du débat sur l’identité nationale, l’instrumentalisation du phénomène marginal et sectaire de la burka, le tapage médiatique autour des peurs de l’islam en Allemagne et en Suisse, les massacres de chrétiens en Irak et en Égypte, et à la veille du congrès du Front national, c’est le curieux moment que Le Monde a choisi pour interroger sur la “menace islamique“ une opinion publique chauffée à blanc ! Servie sur un plateau d’argent pour le couronnement de Marine Le Pen, la prévisible réaction épidermique des sondés, publiée par le quotidien sur trois colonnes à la une, a été à la hauteur des espérances de l’extrême droite, lui donnant le sentiment d’une victoire idéologique dans l’opinion publique !
Pendant longtemps le monde politique français, à droite mais aussi à gauche, indifférent, inconscient, se contentait de dire que le Front national posait les bonnes questions. Tout en continuant de se préoccuper avant tout de ses petites querelles électoralistes, il était incapable de prendre la mesure des périls et d’apporter des réponses concrètes en soignant les plaies béantes de la République. Capitulant devant la déferlante libérale, il abandonnait les valeurs fondatrices et les luttes aussi bien du gaullisme que du mouvement socialiste français ; laissant les héritiers de Vichy faire main basse sur les thèmes de deux grands héritages politiques de la France républicaine. Après ce manque de clairvoyance et cette insouciance des partis républicains, vint la séquence des dérives successives de la droite, dès 2006 et l’élection présidentielle de 2007, avec les insidieux clins d’œil islamophobes, comme la référence aux moutons égorgés dans les baignoires, puis les campagnes de stigmatisations et les saillies nauséabondes, l’extension de la déchéance de nationalité, jusqu’à l’instrumentalisation de l’héritage chrétien de la France et le débat à géométrie variable sur l’islam et/ou la laïcité.
Mais le sondage IFOP – Le Monde apportait un autre résultat (largement occulté), moins influencé par une peur conjoncturelle, qui, lui, était révélateur d’une évolution citoyenne en profondeur de la société française, tranchant avec les réponses sur la “menace islamique“. À la question “Seriez-vous hostile à l’élection d’un maire d’origine musulmane dans la commune où vous habitez ?“, les sondés répondent à 52% qu'ils n’y sont pas hostiles. Et ce qui est particulièrement intéressant c’est de constater la baisse constante de l’hostilité de l’opinion française depuis vingt ans : en 1989 elle était de 63%, en 1994 de 55%, en 2001 de 35% et aujourd’hui de 33%. Très majoritaire dans l’opinion publique au début des années 90, cette hostilité n’est plus que d’un tiers fin 2010 ! Les Français dans leur tréfonds n’ont pas perdu leurs repères citoyens, bien au contraire. Aux dirigeants républicains de le comprendre en s'adressant solennellement à cette conscience citoyenne du peuple français pour faire barrage aux germes de confrontation qui menace notre société et au discours de haine qui dénature la France.
Aujourd’hui, l’image de la France est abimée, les fondements humanistes de notre société sont menacés, l’expression islamophobe se lâche un peu partout, comme légitimée. En se dégageant avec courage du pitoyable tropisme électoraliste, les républicains de conviction doivent prendre conscience de leur immense responsabilité devant l’Histoire dans cette période qui peut très vite accoucher du pire. Les derniers sondages plaçant Marine Le Pen en tête du premier tour de la présidentielle sonnent comme un tocsin pour la République. Heureusement, jusque dans la majorité, certains, et non des moindres, commencent à exprimer leur inquiétude, leur désapprobation, et même à préconiser un front républicain pour les cantonales. Chacun doit bien sûr s’engager à donner une vraie priorité à une lutte déterminée contre les situations sociales et les réalités cultuelles indignes de la République et de ses valeurs d’égalité et de fraternité. Mais également, dans le peu de temps qui reste avant l’élection présidentielle, chacun doit faire œuvre de pédagogie, en parlant aux Français du sens véritable de la laïcité et de l’histoire de notre pays dans lequel l’islam est enraciné depuis longtemps.
Au fil des siècles, les faits et les pages lumineuses ne manquent pas pour l’illustrer :
- Le combat de l’Émir Abd el-Khader et de ses compagnons pour protéger les chrétiens d’Orient des massacres druzes en 1860.
- La construction à Saint-Denis de la Réunion en 1905 de la première mosquée française.
- La décision de la République de construire en 1922 la Grande Mosquée de Paris, inaugurée par le Maréchal Lyautey.
- Le sacrifice des centaines de milliers de soldats musulmans de l’armée française dans les deux guerres mondiales, leur contribution à la libération de la France.
- Le refus de Mohammed V, qui a été fait Compagnon de la Libération par le général de Gaulle, de promulguer au Maroc, alors sous protectorat français, les dispositions antisémites de Vichy, en particulier le port l’étoile jaune par les juifs marocains.
- Les centaines de soldats africains prisonniers qui se sont échappés des stalags du Reich et ont rejoint les maquis de la résistance.
- L’appel de Messali Hadj à la résistance contre le nazisme, la condamnation par Fehrat Abbas et Ali Boumendjel de l’abrogation des décrets de naturalisation des juifs algériens.
- La résistance du Recteur Si Kaddour Benghabrit qui, dès 1940, a fait de la Mosquée de Paris le refuge de parachutistes anglais et de familles juives, ensuite exfiltrés vers la zone libre ou l’Afrique du Nord.
- L'héroïsme de la princesse indienne musulmane Noor Inayat Khan, qui sous le pseudonyme de Madeleine rejoignit la résistance française comme opératrice radio et agent de liaison, fut arrêtée en octobre 1943 sur dénonciation et exécuté en 1944 à Dachau, et dont Geneviève de Gaulle déclara : "C'est notre combat qu'elle a choisi, qu'elle a mené avec courage admirable et invincible".
- Le sacrifice de Mohamed Lakhdar, un des fondateurs des FTP, fusillé le 31 janvier 1943.
- L’action clandestine des FTP algériens qui a permis de sauver de nombreux enfants juifs en les plaçant sous la protection de la Mosquée de Paris.
- L’émouvant tract en kabyle de ces FTP algériens, qui, sous le titre Comme tous nos enfants, lançait cet appel : “Hier, à l’aube, les juifs de Paris ont été arrêtés, les vieillards, les femmes comme les enfants, en exil comme nous, ouvriers comme nous, ce sont nos frères et leurs enfants sont nos enfants. Si quelqu’un d’entre vous rencontre un de ces enfants, il doit lui donner asile et protection, le temps que le malheur passe“.
Comme le christianisme, le judaïsme, et les autres spiritualités et conceptions du monde qui ont marqué notre histoire millénaire, l’islam est aujourd’hui l’une des facettes de notre identité nationale. Le nier est un déni de réalité, dangereux pour la cohésion nationale. L’affirmer clairement n’est que justice et permet à la République de reprendre fermement la main face à ce qui menace les fondements de notre communauté citoyenne : la vague d'islamophobie aussi bien que les dérives intégristes et les tentations communautaristes.
La France est à l'heure du choix : la fraternité républicaine ou la mort de la nation !
Dominique Gallet
(*) "Je pense que l'extrême droite française mutera après une alternance de gauche. (...) Je crois que l'extrême droite française se transformera en droite extrême, ce qu'est la CSU en Allemagne." (débat avec Patrick Cohen)
La Fraternité ou la Mort ! Quelle belle réponse pour faire face à la bestialité haineuse des racistes qui se déchaînent contre Christiane Taubira ! Ils défigurent la France !
Rédigé par : JJ Dumas | 15 novembre 2013 à 16:30
Je suis très heureux de trouver ces mots de sagesse pour l'avenir de la France ! Merci pour ce blog que je souhaite faire connaitre autour de moi.
Rédigé par : GLouvier | 25 mai 2011 à 18:20
Les élections cantonales viennent de le démontrer: Marine Le Pen et le FN sont toujours au centrede la vie politique française. Les républicains de conviction doivent prendre conscience des périls qui se profilent à cause de la porosité entre le FN et une part importante de l'électorat UMP. Il faut d'urgence sortir des sentiers battus et définir une stratégie de reconquête républicaine.
Rédigé par : J. Magnin | 28 mars 2011 à 12:30