(Ce texte, publié au lendemain de l'incendie meurtier du boulevard Vincent Auriol, a été intégralement lu le 11 septembre 2005 dans l'émission hedomadaire de MANU DIBANGO sur AFRICA n°1)
Les belles victoires françaises aux Championnats du monde d’athlétisme à Helsinki, comme déjà au temps de la Coupe du monde de football en 1998, au-delà de la fierté que légitimement elles suscitent, devraient être l’occasion de nous rappeler l’immense dette de la France envers les peuples noirs, comme ceux du Maghreb et de nombreux autres pays du Sud. Ce devoir impérieux du souvenir s’est aussi imposé dans la douleur fraternelle qui nous a unis aux Martiniquais, ainsi que dans notre révolte devant l’horrible sort, à Paris et dans sa région, de familles africaines originaires de pays dont les enfants ont largement contribué aux bataillons des “tirailleurs“.
Cette dette, contractée dans les moments les plus tragiques de notre Histoire au XXe siècle, est bien oubliée aujourd’hui. Qu’est-il fait pour que les Français, qui vibrent aux victoires de nos sportifs, sachent les sacrifices de leurs aïeux africains pour notre Défense, notre Résistance et notre Libération ? Qu’est-il fait pour qu’ils connaissent l’épopée des combattants africains de la France Libre ou l’importance décisive du ralliement immédiat au général de Gaulle du Guyanais Félix Éboué, gouverneur du Tchad ? Qu’est-il fait pour que la société française puise dans ces pages glorieuses un atout supplémentaire pour favoriser l’intégration et le sentiment d’appartenance nationale, pour pérenniser le pacte républicain? Qu’est-il fait pour que ce magnifique exemple de fraternité au-delà des mers donne à notre universalisme, forgé lors de la Révolution française, une nouvelle dimension, à notre peuple de nouvelles raisons de parler à un monde qui a bien besoin des valeurs qui fondent notre République ?
Pas grand-chose, ni dans l’enseignement dispensé par l’Éducation nationale à nos enfants, ni dans la plupart des médias écrits ou audiovisuels. Ainsi, une grande occasion citoyenne a été ratée au moment des festivités, commémorations et émissions historiques qui ont marqué le 60e anniversaire de la victoire sur le nazisme.
Un peuple, pour croire en lui-même et se projeter dans l’avenir, a besoin de grandes références, de belles figures, de héros. En particulier le peuple français, peuple “politique“ par excellence, comme le montre son attachement, au-delà des décennies et des clivages politiciens, à la personne et à l’œuvre de Charles de Gaulle, notamment dans la période que nous traversons, où l’urgence d’un “nouveau sursaut“ se fait sentir. L’adhésion naturelle, instinctive, de notre peuple à une France multiethnique, une patrie citoyenne, que l’on peut régulièrement vérifier grâce aux sondages sur les Français les plus populaires, est également une dimension qui le caractérise.
Il est une page héroïque de notre Histoire qui exprime la quintessence de l’humanisme républicain, mais qui est ignorée, faute d’information, par la quasi-totalité des Français. C’était il y a soixante-cinq ans, le 17 juin 1940, la veille d’un certain 18 juin. Au fond de sa cellule, à côté d’un tirailleur sénégalais endormi, le préfet de Chartres, Jean Moulin, se tranche la gorge pour ne pas céder aux Allemands qui veulent l’obliger à signer une déclaration accusant les soldats africains de l’armée française d’avoir commis des crimes de guerre perpétrés, en fait par l’armée hitlérienne. Sauvé in extremis, il sera libéré.
Un des premiers grands actes de résistance française venait d’avoir lieu, un acte de dignité humaine et de fraternité avec les peuples noirs, précurseur de l’idéal de la francophonie. Jean Moulin allait ensuite rejoindre le chef de la France Libre à Londres et devenir l’organisateur et l’unificateur de la résistance intérieure.
Félix Éboué et Jean Moulin sont réunis dans la mémoire républicaine, ils reposent tous les deux au Panthéon, symboles éclatants des principes de liberté, d’égalité et de fraternité. Afin de donner toujours plus de réalité dans notre vie nationale à la devise de la République, il nous faut tout faire pour transmettre aux nouvelles générations l’exemple de leur combat et la conscience de ce que la France doit au sacrifice des peuples du Sud.
France Afrique, la dette par LES-PRODUCTIONS-DE-MINUIT
_________________
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.