APPEL
Nous envisageons l’avenir de la langue française avec confiance. En dépit des fausses évidences.
Un monde multipolaire émerge sous nos yeux. Il contribue manifestement à rééquilibrer les activités de la famille humaine non seulement dans les domaines économique, financier et politique, mais également dans les domaines culturel et linguistique. Sous toutes les latitudes, de la Chine à la Russie, du Brésil à l’Inde, des politiques linguistiques se décident, de nouveaux espaces linguistiques s’organisent et s’affirment.
Cette nouvelle donne remet en cause l’idée même du monopole d’une langue unique dans la communication mondiale. Les grandes langues internationales qui se maintiendront ou qui surgiront ne le devront pas au simple fait du hasard. Elles le devront en grande partie à la manière dont seront exploités les atouts dont chacune dispose.
Émergente, cette configuration culturelle et linguistique globale est une chance pour l’avenir mondial du français, langue qui dispose de larges atouts.
- Par l’Histoire : au fil des siècles, la langue française s’est illustrée en portant très loin les outils critiques d’une pensée libre et singulière et les progrès des sciences. Elle a exprimé les grands principes des Lumières et les a offerts au monde. Successivement, elle a été l’instrument de l’émancipation sociale, du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et de l’émergence d’institutions pour la communauté des nations.
- Par son universalité : la langue française est utilisée sur toute la planète par de très nombreuses nations à l’intérieur d‘elles-mêmes comme dans leurs rapports avec le monde, ainsi que dans les activités scientifiques et technologiques les plus avancées, de la génétique moléculaire à la conquête spatiale.
- Par son statut de langue de travail et de langue officielle du système des Nations Unies et de nombreuses organisations internationales, continentales et régionales, et par le statut de la France de membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU.
- Par la démographie : avec la perspective de plus d’un demi-milliard de locuteurs francophones pour le milieu du siècle, principalement grâce à l’Afrique, mais également à la France qui devrait devenir le pays le plus peuplé du continent européen après la Russie.
Ces atouts sont considérables. Ils constituent des leviers puissants pour que la langue française, dans le respect de la diversité des langues et des cultures des peuples qui composent l’espace francophone, continue à jouer le rôle qui est le sien depuis des siècles. Ces leviers, que d’autres nous envient, doivent être saisis avec détermination et constance.
En priorité, les décideurs des secteurs public et privé du monde francophone doivent quitter le modèle dominant qui a façonné leur existence au siècle dernier et ajuster leurs choix au monde multipolaire tel qu’il advient. La soumission, la démission et la résignation linguistiques constituent les véritables menaces pour l’avenir de notre langue.
Le “tout anglais“ constitue une obsession d’un autre temps et d’un autre monde. Il est une impasse dont il faut au plus vite sortir dans l’intérêt des peuples ayant le français en partage.
Notre confiance en l’avenir de la langue française n’est pas naïve. Elle appelle une vigoureuse politique d’affirmation linguistique. Cette politique doit comprendre notamment :
- l’application stricte des législations linguistiques nationales quotidiennement bafouées par les intérêts particuliers et le conformisme ambiant, aussi bien dans les secteurs public que privé, notamment pour le français langue du travail ;
- la diversification de l’enseignement des langues étrangères et des filières bilingues vers plusieurs grandes langues dont celles des pays émergents (arabe, chinois, espagnol, portugais) ;
- l’exigence de la publication en français, et dans d’autres langues si nécessaire, de tous les travaux issus de la recherche médicale et scientifique publique dans l’ensemble des pays francophones ;
- la circulation facilitée pour les étudiants, les écrivains et les artistes, ainsi que les chercheurs de l’espace francophone tant il est évident qu’il n’y a pas de francophonie si les francophones sont interdits de circulation dans cet espace ;
- un appui massif à la numérisation des patrimoines anciens et vivants de l’ensemble des pays francophones afin d’assurer la présence du français et des langues partenaires dans l’espace virtuel devenu un lieu essentiel de communication, de mobilisation et de rassemblement ;
- le renforcement de la recherche sur les systèmes de traduction automatique et leurs implications industrielles, afin d’assurer la présence du français parmi les grandes langues pivots qui s’imposeront dans l’intercommunication planétaire ;
- la priorité d’une politique bilatérale et multilatérale, forte et pérenne, en direction de l’Afrique francophone pour le développement optimal de son système éducatif ;
- l’utilisation de la langue française par les représentants des pays francophones dans les organisations continentales et internationales.
Il ne s’agit pas pour le monde francophone de se dresser contre la langue anglaise ou contre toute autre langue. Il s’agit d’ouvrir nos yeux sur la réalité nouvelle, et de mettre en œuvre, dans le contexte de la mondialisation multipolaire, une stratégie offensive pour la langue française, qui assurera son avenir en valorisant ses nombreux atouts.
Nous appelons les citoyens des pays francophones à exercer leur vigilance individuelle et à développer leur mobilisation collective pour que soit respecté l’usage de notre langue mondiale en partage.
Nous appelons fermement nos gouvernements à réviser leur politique et leur pratique linguistiques, à abandonner les discours de circonstance sur la francophonie et à relever le défi de l’affirmation déterminée de la langue française dans la polyphonie du nouveau monde.
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PREMIERS SIGNATAIRES :
Edem Awumey, écrivain ; Mimi Barthélémy, conteuse ; Louise Beaudoin, députée de Rosemont, Québec ; Karim Beyekhlef, directeur, Centre de recherche en droit public, Université de Montréal ; Marie-Roger Biloa, directrice du mensuel Africa International ; Daniel Boyer, secrétaire général de la Fédération des travailleurs du Québec ; Malek Chebel, philosophe ; Fernand Daoust, ancien président de la Fédération des travailleurs du Québec ; Pape Diouf, ancien président de l’Olympique de Marseille ; Jean-Sébastien Dupuit, ancien président du Centre national du livre ; Gabrielle Durana, chroniqueuse économique ; Dominique Gallet, producteur du magazine télévisé Espace francophone ; Yasmine Ghata, écrivain ; Monique Giroux, animatrice, Radio-Canada ; Paula Jacques, écrivain et journaliste ; Marie-France Kenny, présidente, Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada ; Vénus Khoury-Ghata, écrivain ; Rachid Koraïchi, plasticien ; Charles-Étienne Lagasse, inspecteur général à Wallonie-Bruxelles International, vice-président d'UNIC-Bruxelles, professeur de droit public belge et européen ; Philippe Lorin, illustrateur ; Antonine Maillet, écrivain ; Mona Makki, rédactrice en chef du magazine télévisé Espace francophone ; Jean-Tabi Manga, recteur, Université de Yaoundé ; Luc Martin-Chauffier, syndicaliste ; Mariette Mulaire, présidente, Agence nationale et internationale du Manitoba ; Jean-Benoît Nadeau, écrivain ; Dominique Noguez, écrivain ; Zachary Richard, auteur, compositeur, interprète ; Jean-Louis Roy, historien, écrivain, diplomate, responsable de l’Observatoire mondial des droits de l’Homme ; Alimata Salembere, ancienne directrice de la culture, Agence internationale de la Francophonie ; Amadou Lamine Sall, poète ; Claire Simard, ancienne directrice du Musée de la civilisation, Québec ; Monique Simard, directrice générale du programme français, Office National du Film du Canada ; Gilbert Sinoué, écrivain.
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