(Article publié dans Le Figaro du 17 mai 2002)
Pendant les longues semaines de la campagne présidentielle, et malgré un contexte international particulièrement dramatique, la politique extérieure de la France a été la grande absente du débat. Ce constat est particulièrement flagrant pour la francophonie, qui est, avec l’Europe, l’une des dimensions de la vocation universelle de notre pays. Il est ainsi particulièrement révélateur qu’aucun des candidats ayant dépassé la barre des 5% à l’exception de Jean-Pierre Chevènement, n’ait fait référence à la francophonie dans sa profession de foi du premier tour. Mais le plus révoltant est ailleurs. Dans son intervention le soir du 21 avril, Jean-Marie Le Pen concluait en faisant appel au soutien du monde francophone ! Puis à plusieurs reprises, il se réclamait de la francophonie lors de ses interventions dans la campagne officielle, et, cerise sur le gâteau, dans la conclusion de sa profession de foi envoyée à l’ensemble du corps électoral.
Pendant les deux semaines de la campagne du second tour, le candidat de l’extrême droite et plusieurs de ses lieutenants distillèrent cette imposture dans l’esprit des Français, sans que personne en face, ne réagisse ou n’aborde, même d’une phrase, le dossier francophone (1). Après le rapt du sentiment patriotique par les héritiers de Vichy, allons-nous maintenant assister sans réagir à cette nouvelle imposture d’un parti raciste, xénophobe et nostalgique de l’OAS, tentant de récupérer ce qui est antinomique, la francophonie, qui est essentiellement un espace humaniste de dialogue égalitaire entre des peuples et des civilisations ? Ce serait faire encore un peu plus le lit électoral du Front national et cela révolterait nos partenaires francophones.
Contrairement à des élites dirigeantes trop souvent indifférentes, les Français sont très attachés à l’avenir de leur langue et à la solidarité francophone.
Plusieurs sondages (2), commandés par le Haut Conseil de la Francophonie, l’ont largement montré. Et très récemment, le 2 avril 2002, en pleine campagne du 1er tour, Le Figaro publiait un sondage de l’Ifop sur les Français et la politique internationale. À la question «Selon vous, quelle doit être l’ambition prioritaire pour la France dans les années à venir ?», les sondés plaçaient en deuxième position (22%) la réponse : «Redynamiser la solidarité entre les pays francophones». Combien de temps va-t-on brider la naturelle ambition francophone des Français comme leur légitime fierté patriotique ?
Le séisme du 21 avril contribuera peut-être à rendre les politiques plus sensibles aux désirs profonds des Français. Quelques signes nous permettent de l’espérer. Il est grand temps. Non seulement afin que la France retrouve son rayonnement diplomatique et culturel, sa vocation universelle. Mais aussi pour renforcer le nouveau sentiment d’appartenance nationale qui voit le jour en France grâce à la magnifique initiation citoyenne que viennent de vivre, dans le combat pour la République, de nombreux jeunes issus de l’immigration. Une reconnaissance solennelle par la France de son appartenance à la communauté des peuples francophones dont est originaire l’essentiel de l’immigration française, amplifierait cette belle évolution.
Ne serait-il pas temps aujourd’hui, comme Jacques Chirac s’y était engagé lors du Sommet de Cotonou en 1995, d’inscrire dans la Constitution cette appartenance de notre pays à la Francophonie, comme c’est le cas pour l’Union européenne depuis 1992 ? Ou de développer dans l’enseignement primaire et secondaire français une véritable connaissance de la francophonie et de la diversité de ses cultures, qui aujourd’hui enrichissent notre patrimoine national ? Mais au-delà, l’ambition francophone doit devenir un des éléments constitutifs de la politique extérieure d’une France qui, pour rester fidèle à son histoire, à son essence, ne peut limiter sa vision du monde à l’Europe. Sans une France active, présente, avec son propre message, dans les autres régions du monde où se joue l’avenir de la francophonie, Afrique subsaharienne, Maghreb, Proche-Orient, océan Indien, Caraïbe, Amérique francophone et latine, Asie du sud-est, Pacifique Sud, comment peut-on sérieusement croire que la langue française et les valeurs dont elle est porteuse garderont, par miracle, leur dimension internationale ?
Alors que les dirigeants allemands affirment systématiquement leurs légitimes revendications linguistiques dans l’Union européenne et clament leur fierté nationale, comme vient de le montrer la commémoration du 8 mai en Allemagne, la France doit cesser d’être tétanisée. Elle doit développer sans crainte son ambition francophone, complémentaire de son rôle moteur dans la construction européenne. Cette ambition est d’autant plus nécessaire que ce qui fait l’originalité, la force de la francophonie, c’est le dialogue Nord/Sud des cultures. En ayant en mémoire l’avertissement prémonitoire de Vercors au lendemain de la Libération : «Peut-être le plus grave danger qui, périodiquement, menace l’esprit humain réside-t-il dans cette tendance, cette facilité, à laisser les idées et les mots devenir fossiles, devenir ces objets respectés comme de vieilles idoles mais aussi vains qu’elles, et que l’on met comme elles sous vitrine. Tenter de conserver à ces grands concepts leur vitalité et leur dynamisme sera la justification et peut-être le mérite de notre effort» (3).
Dominique GALLET
(1) À l’exception d’un “Appel francophone contre l’extrême droite“ publié par Le Figaro du 4 mai 2002
(2) Notamment dans les sondages Ipsos-HCF (1986 et 1993) et Sofres-HCF (1994)
(3) Chroniques de minuit, avril 1945, Les Éditions de Minuit.
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