PATRIOTISME ALLEMAND
ET RENONCEMENT FRANÇAIS
« J'invite tout le monde en Afrique à apprendre l'allemand et à participer à "l'aventure" que représentent les études en Allemagne […] première économie européenne » annonçait Angela Merkel le 28 mars dernier. Cette déclaration de la chancelière allemande n’a suscité pratiquement aucun commentaire en France. Elle est pourtant révélatrice à plus d’un titre.
Par l’affirmation sans nuance en direction de l’Afrique de la puissance allemande face aux autres économies européennes, notamment la deuxième…
Mais aussi par le contexte choisi, qui n’était certainement pas innocent : la veille de l’arrivée à Berlin du président sénégalais Macky Sall qui accueillera cette année à Dakar le 15ème Sommet de la francophonie, mais également quelques jours avant le Sommet Union européenne/Afrique à Bruxelles, où l’Allemagne n’a pas brillé par son engagement concret pour soutenir les forces franco-africaines en Centrafrique.
Cette déclaration est une nouvelle manifestation de la revendication linguistique allemande. La dernière date des lendemains de la réunification. Fort de la puissance démographique allemande réunie dans un même État, le chancelier Helmut Kohl demandait par lettre au président de la commission européenne que l’allemand soit reconnu, au même titre que l’anglais et le français, langue de travail de la commission. Il expliquera ensuite le sens de sa demande : « J’ai poliment fait remarquer que la langue allemande a tendance à être désavantagée et que cela ne va pas. La République française ne donne pas un sou à une conférence internationale où le français n’est pas la langue des débats. Que cela plaise ou non, l’allemand est pour le moment la langue la plus usitée dans la Communauté. Ce n’est pas exorbitant d’exiger que notre langue soit prise en considération ». Fin de non-recevoir de Jacques Delors, favorable, comme la plupart des eurocrates, à l’anglais langue de leur Europe.
La déclaration de la chancelière allemande est également révélatrice d’une stratégie linguistique aux antipodes de celle définie en France par la loi Fioraso adoptée récemment. L’Allemagne demande aux jeunes Africains d’apprendre l’allemand pour venir étudier dans ses universités. La France, elle, crée des enseignements universitaires en anglais pour attirer les étudiants étrangers !
N’appartenant pas à un espace linguistique mondial, l’Allemagne n’en a pas moins compris combien sa langue est un atout essentiel de sa puissance et de son rayonnement international. Cette prise de conscience commence même à se développer dans la publicité télévisuelle des marques automobiles allemandes à travers le monde, qui jouent de l'allemand comme d'un signe attractif dans les commentaires et les slogans : ainsi Wir leben Autos avec Opel, Forsprung durch Technik avec Audi ou Das Auto et Das WeltAuto avec Volkswagen.
Les décideurs français, indifférents au rôle international de la langue française et à l'existence d’un vaste espace francophone, désirant frénétiquement être les premiers de la classe de l’uniformisation transatlantique, ont adopté le “tout-anglais“ pour parler au monde. Jusqu’au grotesque absolu en décidant de baptiser sous le nom de FrenchTech le programme en faveur des initiatives novatrices françaises dans le secteur numérique. Pour ces décideurs FranceTech aurait certainement une résonnance trop ringarde, alors qu'en fait ce nom a l'avantage de pouvoir être lu dans les deux langues et d'être compris partout dans le monde! Cette ridicule obsession anglophone avait déjà frappé en 2012 avec le lancement d'une importante campagne pour la promotion des atouts de la France afin d'accueillir les investisseurs étrangers. Cette campagne qui s'adressait à la presse, aux médias audiovisuels et aux réseaux sociaux de cinq pays, Brésil, Canada, Chine, États-Unis d'Amérique et Inde, a été diffusée partout en anglais, au mépris des langues chinoise, française et portugaise ! Choix idéologique de décideurs incapables d'appréhender la complexité du monde, mais également de comprendre l'utilité, pour l'efficacité de cette campagne, de s'adresser dans leur langue aux Brésiliens, aux Chinois et aux Canadiens francophones. Ces nains “galloricains“, sans mémoire, sans convictions, sans vision, plombent l’avenir de la France. La haine de soi est l’unique sentiment qui les guide. À l’image de Jean Pisani-Ferry, commissaire général à la stratégie et à la prospective qui, avant même de lancer les travaux de la commission sur la France en 2025 que lui avait confiée le premier ministre Jean-Marc Ayrault, annonçait du haut de ses certitudes : « La France dans dix ans sera à coup sûr plus vieille, plus petite, moins riche ».
Quand la plupart des dirigeants français ne conçoivent l’avenir de la France qu’en terme de déclin, les responsables allemands eux forgent discrètement, derrière la façade de l’Union européenne, le retour des piliers de la puissance de leur nation, dans ses dimensions industrielle, technologique, spatiale, financière mais également linguistique. Alors président du groupe parlementaire de la CDU/CSU, Wolfgang Schaüble, qui est aujourd’hui ministre des finances du gouvernement fédéral, déclarait en 1994 « Le patriotisme n’est pas une idée vieux jeu […] il faut redonner du corps à notre identité nationale ». Il y a vingt ans tout était dit, qui s’applique maintenant pas à pas.
Le renoncement français, résultante de l'idéologie défaitiste de nos élites dirigeantes, est constaté avec une profonde amertume par tous ceux qui dans le monde attendent beaucoup de la France, du rayonnement de sa langue, de sa culture et de ses valeurs. Sans concession pour le présent, mais plein d’espérance pour l’avenir, l’une des dernières déclarations du Prix Nobel de littérature le Portugais José Saramago, était révélatrice de cette attente : « D’un point de vue culturel, la France est pour moi d’une importance fondamentale, même si je pense qu’elle a laissé tomber son rôle de phare. Si vous réussissiez à le récupérer, ce serait formidable pour l’Europe et pour le monde ».
DOMINIQUE GALLET
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