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AU-DELÀ DES CLIVAGES POLITIQUES,
LA NÉCESSAIRE AMBITION SPATIALE FRANÇAISE
À l’heure où les deux puissances qui se partageaient le monde s’interrogent sur les prochaines étapes de la conquête de l’espace, où des pays émergents de tailles diverses, Chine, Inde, Japon et Corée du Sud, s’investissent avec détermination dans l’aventure, où deux grandes nations européennes, l’Allemagne et la Grande-Bretagne, envisagent sérieusement de lancer des missions lunaires, qu’est devenue l’ambition de la France, première puissance spatiale d'Europe occidentale ?
La conquête spatiale est pour notre pays une ambition non seulement légitime mais nécessaire. Si une volonté politique s'affirmait pour un nouveau programme spatial de souveraineté dans le cadre des prochains arbitrages du grand emprunt national consacré aux investissements d'avenir, les moyens financiers à mobiliser seraient dérisoires par rapport à l'immensité de l'enjeu. Ils permettraient à la France de concrétiser une stratégie essentielle pour son progrès scientifique et technologique, son développement industriel de pointe, son rayonnement culturel, les emplois qui seraient créés, sans compter les vocations enthousiastes qui naîtraient au sein de nouvelles générations en quête de dépassement.
Le chef de l'État vient de présenter un premier bilan du grand emprunt. L’investissement en faveur d'une nouvelle étape de notre ambition nationale dans le domaine spatial n'est malheureusement toujours pas prévu. Il correspondrait pourtant en tous points aux critères d'utilisation du grand emprunt pour de véritables projets d'avenir. Au-delà des clivages politiques, il doit être ardemment soutenu par tous ceux qui sont attachés à l'affirmation de la puissance et de la souveraineté de la France, ainsi qu'au rayonnement de sa langue et de ses valeurs, dans le nouveau monde qui émerge.
Nous mettons en exergue aujourd'hui, sans le modifier, l'article publié sur notre site le 2 décembre 2009 et sur marianne2.fr à la même période.
8 JUILLET 2011
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LA CONQUÊTE SPATIALE
une ambition pour la France
La célébration sur toute la planète du quarantième anniversaire des premiers pas de l'Homme sur la Lune, comme récemment la découverte d’eau sur son sol, ont mis de nouveau les projecteurs sur une activité essentielle pour l'avenir de l'humanité, la conquête de l'espace.
Marquée du sceau d'une certaine morosité, notamment aux États-Unis d'Amérique depuis la fin des missions Apollo, cette conquête suscite dans d’autres parties du monde un intérêt grandissant. De nouvelles ambitions nationales vers l’espace s’affirment aujourd’hui.
DE NOUVELLES AMBITIONS NATIONALES
Ainsi plusieurs puissances asiatiques se sont lancées dans l'aventure. La Chine réalisait en 2008 son troisième vol habité dans l'espace, après ceux de 2003 et 2005 (1) . Cette même année, l'Inde envoyait sur la Lune son premier engin spatial (2) et annonçait 60 vols spatiaux jusqu'en 2013, notamment vers la Lune et Mars, ainsi qu'une mission habitée en 2015. Ce choix stratégique ne concerne pas seulement des pays de la taille de la Chine, de l'Inde ou du Japon, mais également la Corée du Sud, une nation de 50 millions d'habitants. En 2007, le ministère des sciences de ce pays annonçait le lancement d'un vaste programme spatial, avec notamment l'ouverture à Naro de son premier centre spatial, le développement d'un lanceur de 300 tonnes et l'envoi d'une sonde sur la Lune.
Mais ces nouvelles ambitions nationales ne concernent pas seulement des puissances émergentes. Ainsi une dépêche de l'agence Reuters du 10 janvier 2007 nous apprenait que l'Agence spatiale britannique avait décidé, devant "la réduction des coûts du transport dans l'espace", de préparer sa première mission spatiale vers la Lune, afin d'y trouver le meilleur site pour une installation humaine. Et, au mois d'août dernier, le secrétaire d'État allemand chargé de l'espace envisageait, malgré la crise, au nom de l'importance de l'enjeu scientifique, le lancement par l'Allemagne d'une mission lunaire en 2015, chiffrant le coût de ce programme à 1,5 milliard d'euros sur cinq ans.
NAISSANCE D’UNE AMBITION FRANÇAISE AVEC LE GÉNÉRAL DE GAULLE
Dans ce nouveau paysage, qu'est devenue l'ambition spatiale de la France?
Elle s'était affirmée au début des années 60 avec l'arrivée au pouvoir du Général de Gaulle. La Ve République naissante mobilisait notre communauté scientifique et industrielle dans un important programme portant la France au rang de troisième puissance spatiale mondiale. La conscience était profonde, à la tête de l'État, de l’importance de ces activités spatiales pour notre progrès scientifique et notre indépendance technologique, mais également, ce qui est moins connu, pour notre rayonnement linguistique. Paul Germain, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, le soulignera lors d’un colloque international : “C’est lorsque le général de Gaulle était président de la République que les plus hautes autorités de l’État découvrirent que les mutations scientifiques et techniques risquaient d’affecter gravement le rayonnement international de la langue française. Gaston Palewski, chargé au gouvernement des affaires spatiales, répondit à la question que je lui posais sur les raisons qu’avait notre pays de se lancer avec tant de résolution dans une politique spatiale ambitieuse : «Pour préserver le rayonnement de notre langue»“.
Depuis l’origine de la Ve République, notre pays a toujours voulu concilier un important programme spatial de souveraineté, sans équivalent en Europe occidentale, avec des coopérations bilatérales diversifiées et une profonde coopération européenne. Parallèlement à la montée en puissance de la stratégie française, l'Europe multipliait les échecs avec ses fusées Europa, sous l'égide chaotique de l'ESRO et de l'ELDO. En 1973, la France imposait à ses partenaires de nouvelles méthodes et sa maîtrise d'œuvre, dans le cadre du projet Ariane, afin de réaliser une véritable indépendance spatiale européenne dans le domaine crucial des lanceurs commerciaux. L'Agence spatiale européenne est née de cette nouvelle stratégie qui se voulait complémentaire d'une ambition spatiale française indépendante, mise en œuvre par le Centre national d'études spatiales (CNES). Ainsi, fin 1994, le comité gouvernemental de l’espace souhaitait encore “maintenir la France à un très haut niveau dans le spatial [...] domaine stratégique et de souveraineté nationale“ en lançant un important programme de satellites des futures générations.
LA FRANCE PEUT-ELLE BRIDER SON AMBITION SPATIALE?
Le CNES est doté d'un budget de l'ordre d'un milliard sept cents millions d'euros. 40% de ce budget est versé à l'Agence spatiale européenne. Les activités plus directement nationales de la France se sont concentrées ces dernières années sur les générations de satellites d'observation de la terre SPOT et Pléiades, de satellites militaires Hélios et Syracuse, ainsi que sur le programme de petites missions du CNES, comme COROT, le satellite découvreur d'exoplanètes. Mais la plupart des budgets stagnent et, si l’on excepte les ambitions spatiales du Livre blanc sur la Défense en 2008, aucun grand projet de mobilisation scientifique et industrielle n'est proposé à l'horizon de la décennie, aucun nouvel élan.
Notre pays peut-il brider son ambition dans ce secteur-clé, dans cette nouvelle aventure de l'humanité ? Un débat national, au grand jour, au-delà des clivages politiques, sur cette question essentielle, est nécessaire et urgent. Les projets de l'Allemagne et de la Grande-Bretagne, même s’ils ont été annoncés dans l’indifférence générale, sont révélateurs. Ils devraient inciter notre pays à revoir ses priorités. La réduction des coûts du transport dans l'espace, annoncée par l'Agence spatiale britannique, est une réalité. Pourquoi la France pourrait-elle continuer à s'interdire ce que ses voisins européens commencent à envisager sérieusement ? Nous ne pouvons être à la traîne.
UN INVESTISSEMENT D’AVENIR POUR LE GRAND EMPRUNT
Si une volonté politique s'affirme, les moyens financiers à mobiliser pour ce nouveau programme seront dérisoires par rapport à l'immensité de l'enjeu. Ils permettraient à la France de concrétiser un effort prioritaire pour son progrès scientifique et technologique, son développement industriel de pointe, son rayonnement culturel, les emplois qui seraient créés, sans compter les vocations enthousiastes qui naîtraient au sein de nouvelles générations en quête de dépassement. Cet investissement correspondrait en tous points aux critères d'utilisation du grand emprunt national pour de véritables projets d'avenir.
Première puissance spatiale d'Europe occidentale, disposant avec Kourou en Guyane d'un centre spatial des plus performants au monde, et avec la Terre-Adélie dans l'Antarctique, d'une base particulièrement adaptée à l'expérimentation des longs vols habités, la France doit, pour son indépendance et sa pérennité, se maintenir à un très haut niveau dans ce domaine stratégique. Elle doit apporter à cette grande aventure humaine de la conquête spatiale une contribution spécifique digne non seulement de son rang dans le monde mais également de l'histoire de son peuple, qui, du comte de La Pérouse au commandant Charcot, de Samuel de Champlain à Louis Blériot et Paul-Émile Victor, a toujours su se projeter vers de nouveaux espaces, au-delà des horizons. L'espace est pour la France une ambition non seulement légitime mais nécessaire. Elle doit sans tarder renouer avec l’esprit de conquête, composante essentielle de son identité séculaire.
DOMINIQUE GALLET
(1) Le budget spatial annuel annoncé par la Chine est de 2 milliards de dollars.
(2) Le coût annoncé de la mission est de 63 millions d’euros
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