"En Haïti, nous sommes comme dans une sorte de spirale. Ça ne change jamais ! Depuis 1804, c'est à peu près la même chose. On se révolte contre celui-là, quelqu'un d'autre vient, et on est obligé de se révolter contre lui". cette déclaration d'une jeune comédienne haïtienne en 2004 (1), année du bicentenaire de l'indépendance de la patrie de Toussaint Louverture, était le constat, douloureux et juste, du destin tragique du peuple haïtien.
Première République noire de l'histoire, née d'un combat victorieux contre les troupes d'un Napoléon Bonaparte foulant aux pieds les principes d'émancipation de la Révolution française, Haïti a été bridé dès l'origine dans sa souveraineté et son développement par le lourd tribut que lui a imposé Charles X pour reconnaître son indépendance, puis, au XXème siècle, par la mainmise des États-Unis d'Amérique sur sa vie politique et son économie.
Le désastre qui s'est abattu sur Haïti, au-delà de la solidarité qu'il a déclenché en France, fait resurgir la profondeur des liens qui nous unissent à son peuple. les liens de la langue, le français bien sûr, mais aussi le créole si proche de celui de nos compatriotes des Antilles. Les liens d'une histoire commune, celle de la Révolution française, des Lumières, de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, du premier acte d'abolition de l'esclavage, de la devise de la République dont le mot Fraternité a été adopté sur proposition de Jean-Baptiste Belley, député noir envoyé à la Convention par le général Toussaint Louverture (2). Trop longtemps enfouie, oubliée, cette fraternité culturelle et historique singulière doit aujourd'hui remonter à la surface de notre mémoire collective et guider la France dans une action allant bien au-delà des secours envoyés dans l'urgence, des aides qui se déploient depuis, comme de la reconstruction matérielle qui s'engage.
Car en Haïti il s'agit non seulement de reconstruire un pays, mais également de refonder une République. Depuis Condorcet, nous savons que l'école publique gratuite est l'outil essentiel pour la construction d'une société républicaine permettant de "rendre réelle l'égalité politique reconnue par la loi"(3) et de forger une conscience citoyenne indispensable à l'exercice de la souveraineté populaire. Aujourd'hui, de nombreux Haïtiens sont conscients de cette priorité et sont animés d'une véritable espérance républicaine. Ainsi l'écrivain Lyonel Trouillot, qui déclarera au lendemain du séisme, dans les décombres de Port-au-Prince: "Voilà un domaine, l'éducation et le système scolaire, qui servira d'exemple de l'orientation qu'on voudra donner à la reconstruction. [...] Voilà l'un des grands tests qui attend Haïti. Ce grand malheur peut être l'occasion de corriger des vices structurels. Ce qu'on fera dans le domaine de l'éducation permettra de savoir si cet élan de solidarité est dû seulement à la décence que fait naître le malheur ou constitue un élément fort qui aidera à créer une société plus juste. Humanisme de courte durée ou possible nouveau départ?"(4).
Pour donner du sens à sa solidarité avec Haïti, la France doit s'engager avec détermination dans une profonde coopération éducative régionale que, pour des raisons à la fois géopolitiques et cuturelles, elle seule peut proposer. Cette action spécifique d'envergure doit apporter à Haïti non seulement des moyens financiers mais aussi, grâce aux Antilles françaises, des enseignants et des équipes de formation des maîtres afin de contribuer efficacement à briser la "spirale" infernale qui depuis l'indépendance neutralise la légitime aspiration du peuple haïtien à l'éducation et au développement, à une société des droits et des devoirs du citoyen.
La France ne doit pas manquer ce rendez-vous avec l'histoire, avec son histoire. Dans le nouveau monde qui émerge, il y va de la pérennité des valeurs qui fondent son message universel.
DOMINIQUE GALLET
(1) Diffusée le 5 février dernier sur France 3 dans un sujet sur le spectacle "Haïti, cri d'espoir" de George Béleck (émission spéciale "Haïti, un peuple créateur" du magazine Espace francophone).
(2) La délégation réunissait symboliquement un député blanc, Pierre-Louis Dufay, un mulâtre libre, Jean-Baptiste Mills et un ancien esclave noir, Jean-Baptiste Belley.
(3) "Rapport sur l'instruction publique" - avril 1792.
(4) "Carnet de bord à Haïti" - 25 janvier 2010 - lepoint.fr
C'est vrai ce que vous écrivez mais que fait le gouvernement français pour agir face à la volonté américaine de continuer à imposer son quasi-monopole sur l'ile au détriment du développement du pays ?
Rédigé par : Jeanne | 05 avril 2010 à 15:31
J'approuve votre proposition de coopération éducative régionale réunissant les Antilles françaises et Haïti pour construire un véritable système scolaire haïtien. je pense qu'il serait très utile d'y associer le Québec et sa diaspora haïtienne.
Rédigé par : Colette | 24 février 2010 à 00:06
La France doit être très active pour aider le peuple haïtien. Vous avez raison d'insister sur l'importance de l'éducation pour instaurer une société citoyenne. Les Antilles françaises devraient être associées aux institutions haïtiennes dans ce domaine.
Rédigé par : J-M | 14 février 2010 à 22:25